Sept salles permettent de couvrir un large spectre : depuis l’analyse objective jusqu’aux prophéties et aux spéculations en passant par le désir avoué du déclin. Le sentiment mitigé qui en résulte confronte le visiteur avec ses propres images et expériences. S’il se laisse entraîner, il se perdra peut-être entre nature et culture, homme et univers, confirmation et incertitude.
L’exposition a été conçue avec le concours de Heller Enterprises (Zurich). La scénographie est de Holzer Kobler Architekturen (Zurich).
Les sept salles: visite de l’exposition
L’accès à l’exposition commence au rez-de-chaussée pour tous ceux qui n’auront pas pris l’ascenseur. Un escalier de chantier invite à monter au troisième étage. En récompense, le visiteur est confronté à des vidéos populaires provenant d’Internet, dans lesquelles des séquences humoristiques, macabres ou fondamentalistes offrent un avant-goût des thèmes de l’exposition, et en même temps les premières contributions artistiques.
L’exposition proprement dite présente, pour commencer, la fin définitive probable. En effet, une seule fin du monde est certaine. Dans quelque deux milliards d’années, il fera si chaud sur Terre que toute forme de vie disparaîtra ; et dans quatre milliards d’années et demies, le soleil enflera pour devenir un géant rouge et se consumera. Cette fin est évoquée par une installation impressionnante créée par l’agence berlinoise TheGreenEyl ; elle métamorphose la salle en une image compacte, qui dépasse les récits concrets.
La deuxième salle est consacrée à l’omniprésence de la fin du monde – dans notre imaginaire, dans les prophéties et dans nos espérances, dans les médias et les religions. La salle regorge d’images et de documents audio : cinq haut-parleurs diffusent un montage de textes relatifs à la fin des temps ; plus loin, le tympan du portail de la collégiale de Berne est confronté au Jugement dernier dans une mise en scène théâtrale de l’Apocalypse de Saint-Jean ou à un voyage hollywoodien parmi une quarantaine de films portant sur le sujet. Dans ces visions de la fin des temps, l’apocalypse n’apparaît que rarement : la destruction des esprits malfaisants est généralement suivie d’un renouveau et de temps meilleurs. Une sculpture – « Souvenir from Hell » – de Jake et Dinos Chapman, une création vidéo de Roberto Fassone et un travail médiatique en temps réel de Marc Lee apportent une pointe d’ironie.
L’image de la Planète bleue, photographiée pour la première fois depuis l’espace, est un des messages les plus probants de la vulnérabilité de la Terre. C’est pourquoi cette salle est consacrée aux dangers réels. Il s’agit de catastrophes cosmiques ou terrestres, telles que pluies de météorites et éruptions volcaniques. Une contribution artistique de Roman Signer fait entrer en éruption le volcan de Wörlitz. Un objet parmi de nombreux autres illustre la menace issue de l’espace : une fenêtre de Tcheliabinsk (Russie), où se produisit il y a quatre ans la chute de météorites la mieux documentée jusqu’à présent. La plus grande menace pour l’homme reste l’homme lui-même. Le collectif artistique danois Superflex propose une métaphore de l’autodestruction par la consommation : une succursale de McDonald submergée par les eaux – Déluge d’aujourd’hui ! Dans son film, Julian Charrière effectue un travail de mémoire important sur l’atoll de Bikini, où une série d’essais nucléaires furent effectués dans les années 1950. Deux autres objets imposants illustrent l’impact de l’homme sur la Terre : d’une part, le squelette en 3D, d’une hauteur de 2 m, d’un poulet d’élevage industriel, par Andreas Greiner (les os de poulet témoignent de la présence humaine dans le monde entier) ; d’autre part, une carotte de forage glaciaire du Groenland, qui ne peut être exposée que moyennant une technique sophistiquée. Les analyses des couches glaciaires montrent que la teneur en dioxyde de carbone a grimpé en flèche au cours des dernières décennies, par rapport aux 800 000 années précédentes. De même, les photographies d’Armin Linke ou les globes d’Ingo Günther présentent des changements que seule une observation minutieuse peut déceler.
Au cours de l’histoire de la Terre, des catastrophes naturelles ont provoqué au moins cinq grandes extinctions massives. Il est probable que nous assistions actuellement à la sixième, causée par l’influence humaine. Un exemple parmi d’innombrables : la pie-grièche à tête rousse, un oiseau qui nichait encore il y a dix ans dans nos jardins. Chaque année, des milliers d’espèces disparaissent dans le monde. Les photographies de Joël Sartore redonnent une dignité et un visage à quelques-unes d’entre elles. Même le nombre des poissons, des amphibiens, des oiseaux et des mammifères subit une régression massive ; il a diminué de moitié depuis les années 1970. Un film d’animation projeté sur tout un pan de mur décrit l’évolution et la disparition des espèces, qui se sont étirées sur des centaines de milliers d’années. La projection est observée par des témoins muets, des fossiles pour la plupart. Mais l’être humain meurt aussi, depuis qu’il est sur Terre, dans des circonstances catastrophiques. Les villes vont et viennent, comme le montre Camille Henrot dans sa présentation imaginaire. Et Katie Paterson propose une carte de toutes les étoiles déjà disparues.
La menace permanente n’est pas seulement source d’angoisses. Elle véhicule la défiance, le refoulement, mais aussi la créativité. « Ce n’est pas la fin du monde », chante Zarah Leander en chœur avec un public d’officiers nazis qui se balancent en rythme. La perspective de l’apocalypse génère visions, démence, musique, projets de fugue, recettes de sauvetage – et parfois aussi de l’argent, comme dans le cas des bunkers de luxe vendus aux Etats-Unis à des survivalistes. La préparation à la catastrophe peut tout à fait donner un sens à la vie, comme le montrent les « preppers ». Mais la faune aussi réagit à l’évolution des conditions de vie. La designer Kathryn Fleming se laisse inspirer par ces processus : elle a créé à titre expérimental trois espèces animales, armées pour le monde de demain grâce à de nouvelles propriétés. Un monde imaginable en film, et auquel on peut échapper si l’on est prêt à se rendre sur Mars, voit le jour hors de la Terre : la NASA fait déjà la promotion de concours d’architecture pour des maisons martiennes.
En permanence, ce que l’homme considère comme son monde va de travers. Les fins du monde se manifestent sous une forme bien moins radicale que la disparition de la vie ou de la planète. Leur réalité échappe aux personnes atteintes de démence. Et quand un cœur se brise, un monde peut aussi s’effondrer – les objets du Museum of Broken Relationships sont des vestiges de ces effondrements. L’incertitude existentielle se propage, dans les agacements liés aux nouvelles quotidiennes, entre les océans, la pollinisation par drones, les dystopies et les nostalgies, ainsi que dans l’illusion de la victoire, qu’Elodie Pong submerge d’une avalanche. Les récipients de Batoul Shimi démontrent à leur tour en silence la pression à laquelle ils sont exposés, tandis que les tentatives de vol de Gino de Dominicis s’obstinent à en rester au stade d’efforts aussi vains que touchants. Quelques pas plus loin, Bazon Brock invite à une pause philosophique : une pensée apocalyptique, selon son conseil, serait la condition préalable à toute action précise.
La fin du monde n’a pas encore eu lieu, l’issue est incertaine. L’exposition ne s’achève donc pas sur un constat, mais sur une contribution artistique. Les règles du jeu que le Musée s’est fixées sont simples : un artiste est invité à aménager la dernière pièce pour une durée d’un an et donc de mettre un point final spécifique. De cette manière, l’exposition recevra, d’année en année, un commentaire renouvelé ; la transformation se fera à chaque fois sous les yeux public, dans le cadre d’une exposition ouverte. L'installation Fist Teeth Money de Beni Bischof a ouvert cette série avec un mélange spectaculaire des réalités de la vie et des médias les plus divers. Après Bischof, le duo d'artistes huber.huber a créé la dernière salle de l'exposition avec une installation: "Hello Darkness, my old friend". Enfin, Alexandra Daisy Ginsberg, Christina Agapakis et Sissel Tolaas ont reconstitué l'odeur d'une plante disparue dans le cadre de "Resurrecting the Sublime".
Installation actuelle: The Substitute
Le travail vidéo de l’artiste Alexandra Daisy Ginsberg fut déclenché par la mort du dernier rhinocéros blanc mâle et l’ ambition de faire renaître l’espèce animale éteinte à l’aide de la biotechnologie. Une projection grandeur nature montre le puissant animal dans un monde virtuel. D’une authenticité d’abord émouvante, puis de nouveau floutée. Cette alternance constante rappelle que ce rhinocéros apparemment réel et totalement artificiel et confronte notamment à la question de savoir si des objets créés par l’être humain peuvent vraiment remplacer des formes de vie authentiques. Veuillez noter que l'exposition sera ouverte à partir du 1er mars 2022.
Télé Apocalypse
Télé Apocalypse accompagne l'exposition «Apocalypse – une fin sans fin». La chaîne en ligne met en exergue la diversité du sujet dans des épisodes à intervalles réguliers. Le reporter Lukas Landolt rencontre des personnes qui ont quelque chose à dire. Et il piste notre relation au déclin, avec toutes les peurs et toute la volupté que la fin du monde provoque également.
Voix des réalisateurs de l'exposition
« La fin du monde nous concerne tous. Une exposition sur ce thème évolue forcément et constamment entre High et Low. Elle passe sans transition de la réflexion culturelle et scientifique aux images populaires quotidiennes. De plus, elle peut se laisser aller au trash tout en restant sérieuse. Rien ne peut être plus beau pour un concepteur d’expositions – la fin du monde autorise les jeux de rôles les plus fins comme les plus grossiers. »
« Les quelque vingt contributions artistiques apportent des éclairages très variés dans l’exposition. Elles commentent les représentations scientifiques, les remettent en question, les confortent, les ironisent ou les complètent. Ainsi, les travaux établissent un niveau discursif supplémentaire, tout au long des différentes salles jusqu’à la fin, incertaine. La diversité et l’internationalité des créations artistiques témoignent en outre de l’attrait existentiel du thème. »
« Fin du monde : l’expression paraît définitive. En même temps, les accès possibles semblent infinis. Notre exposition s’intéresse à cette fin sans fin en rassemblant des positions aussi variées que contradictoires. Non seulement des menaces naturelles et anthropogènes se rencontrent, mais aussi des faits réels et des spéculations courageuses, la crainte et l’espoir. Quel bénéfice pour le public ? Un chaud et froid apocalyptique interdisciplinaire réparti sur sept salles. »
« De quelle architecture la fin de monde a-t-elle besoin ? Il s’agit avant tout de donner une forme solide à des forces incontrôlables qui résistent à toute volonté scénographique visant à lui donner une forme. Pour l’exposition, nous allons très haut, en direction du soleil. C’est par là que nous avons commencé : dans des salles qui émergent d’une géométrie originale – prétendument arbitraire. Séduits par une esthétique de la réduction et animés par les contenus, nous trouvons notre chemin vers une fin certaine – l’exposition. »
« Cette exposition constitue une étape importante dans la mise en œuvre de notre nouvelle stratégie : associer des aspects scientifiques avec des éléments culturels, artistiques et sociologiques. Par le biais d’une conception novatrice, nous voudrions positionner le Musée bernois en tête des musées d’histoire naturelle de Suisse et le faire connaître au-delà de nos frontières. Grâce à une approche multispectrale des thèmes d’exposition, nous entendons nous adresser à un plus large éventail de visiteurs aux centres d’intérêt variés. En confrontant le visiteur à une actualité pertinente et à ses propres expériences, nous aimerions ouvrir au plus grand nombre possible les portes d’une compréhension profonde et inspirante de la nature et des thèmes proposés. »
« Pourquoi un musée d’histoire naturelle organise-t-il une exposition sur la fin du monde ? Parce qu’il s’agit d’un événement formidable, qui touche et agite. De plus, la fin du monde est toujours d’une actualité brûlante et réside aux frontières interdisciplinaires : elle associe avec virtuosité des thèmes scientifiques et artistiques. Nous l’avons explorée sans crainte, mais aussi sans désillusion – la fin du monde reste un mystère. »
« Une chute d’astéroïdes et une supernova toute proche sont possibles, mais peu vraisemblables. Il importe que nous soyons conscients de ces risques et donc de la fragilité de notre existence. Les possibilités que nous avons d’influer sur les mégacatastrophes sont toutefois très limitées. Il me semble plus important de gérer la Terre avec soin et de protéger les humains menacés qui vivent dans des zones sismiques et volcaniques. »
Beni Bischof
*1976 à Saint-Gall, vit et travaille à Saint-Gall et à Widnau
Michele Bressan
*1980, vit et travaille à Bucarest
Jake & Dinos Chapman
*1966 à Cheltenham et en 1962 à Londres, vivent et travaillent à Londres
Julian Charrière
*1987 à Morges, vit et travaille à Berlin
Chiu Chih
* à Taipei, vit et travaille à Londres et à Shanghai
Gino de Dominicis
1947 à Ancône – 1998 à Rome
Roberto Fassone
* 1986 à Savigliano, vit et travaille à Florence
Omer Fast
*1972 à Jérusalem, vit et travaille à Berlin
Andreas Greiner
*1979 à Aix-la-Chapelle, vit et travaille à Berlin
Ingo Günther
*1957 à Bad Eilsen, vit et travaille à New York
Camille Henrot
*1978 à Paris, vit et travaille à New York
Markus et Reto Huber *1975 à Münsterlingen, ils vivent et travaillent à Zurich
Marc Lee
*1969 à Knutwil, vit et travaille à Eglisau
Armin Linke
*1966 à Milan, vit et travaille à Milan et à Berlin
Vladimir Nikolić
*1974 à Belgrade, vit et travaille à Belgrade
Katie Paterson
*1981 à Glasgow, vit et travaille à Berlin
Elodie Pong
*1966 à Boston, vit et travaille à Zurich
Batoul Shimi
*1974 à Asilah, vit et travaille à Tétouan
Roman Signer
*1938 à Appenzell, vit et travaille à Saint-Gall
Kasper Sonne
*1974 à Copenhague, vit et travaille à New York
Superflex
Créé en 1993 par Bjørnstjerne Reuter Christiansen (*1969), Jakob Fenger (*1968), Rasmus Nielsen (*1969), qui vivent et travaillent à Copenhague